2014... Il y a 10 ans. J'étais en pleine crise, épuisée, en burn-out.
A ce moment-là, je ne savais pas ce que c'était. Je pense même que je n'en avais jamais entendu parler. L'état dans lequel j'étais, je ne l'ai compris que bien plus tard. J'ai pris conscience des séquelles que cela avait laissé. J'ai aussi vu de plus en plus de gens en souffrir. Il m'a fallu du temps pour reconnaître cet état et l'accepter.
2012... Quelques mois après avoir reçu mon diplôme, je suis engagée comme chargée de diffusion pour une compagnie de théâtre. Et pas n'importe laquelle, celle dont je rêvais. Ils m'ont engagée sur la confiance. Ils ont vu à quel point j'étais volontaire, motivée, organisée. J'étais tellement « accro » à eux que j'étais capable de tout. Voilà, comment le problème s'est immiscé : je n'avais aucune limite.
Les premiers mois, c'était parfait. J'avais trouvé le boulot de mes rêves. Je me sentais à ma place, entourée d'une équipe formidable, je me sentais reconnue. Je profitais de chaque instant passé au travail. Surtout lorsque nous étions en tournée. C'était les plus beaux moments.
J'avais tellement envie que cela fonctionne, tellement envie de leur prouver que j'étais capable, tellement envie que tout soit parfait. J'acceptais tout ce qu'on me demandait de faire même ce qui me pesait. Incapable de refuser au risque d'être vue comme incompétente our paresseuse. Je me suis mis une pression sur les épaules pour tout réussir. Mon travail devait être impeccable. J'étais là tout le temps et partout. Je n'ai jamais compté mes heures. Prendre des récup', je ne l'envisageais même pas. Le reste de l'équipe travaillait autant (si pas plus) que moi alors il fallait que je fasse la même chose.
L'émerveillement n'était plus là. Le travail de chargée de diffusion n'est pas simple. Je me suis souvent pris des « non », des portes dans la figures. Je me suis souvent dit que je faisais mal mon travail car les programmateurs ne venaient pas voir le spectacle malgré mes coups de fil, mes mails et mes rappels. J'ai commencé à me sentir nulle. Alors je me suis mis deux fois plus de pression.
Je continuais à faire mon travail mais sans envie et avec sans cesse des remises en question, des doutes. « Suis-je vraiment faite pour ça ? », « Pourquoi je n'y arrive pas ? », « Qu'est ce que je pourrais faire de mieux ? », « Si quelqu'un d'autre était à ma place, cela fonctionnerait certainement mieux ».
Pression et dévalorisation. Mais je tenais bon. Mon mental était là pour me soutenir. «Il faut », « je dois ». C'était mes mots d'ordre.
Je commençais à être de plus en plus fatiguée physiquement et mentalement. J'avais du mal à me concentrer. Je travaillais moins bien, plus lentement. Ce qui alimentait davantage ma croyance que je n'étais pas à la bonne place et que j'étais vraiment pitoyable et blablabla.
Bien sûr, il était hors de question d'en parler, hors de question de craquer. Il fallait que je sois forte. Une vraie guerrière.
Mon mental a, lui aussi, fini par craquer. Je n'étais plus en mesure de contrôler mes émotions. Je partais en vrille à la moindre remarque. Il m'est arrivé de quitter le bureau en pleurant parce que ma collègue m'avait fait une simple remarque concernant mon travail. Je me sentais en colère, prisonnière. J'étais irrationnelle, à fleur de peau. Je continuais à prendre sur moi comme je pouvais. Je me fermais de plus en plus pour éviter d'être touchée émotionnellement par les autres. Les tournées, ces moments si joyeux, sont devenues un vrai calvaire. Trop de monde, trop de gens, trop de bruits et il fallait faire bonne figure.
Quand je partais au boulot, je pleurais. Quand je revenais du boulot, je pleurais. Il m'arrivait souvent d'avoir des pensées noires. J'avais envie que cela s'arrête. Mais il me fallait une excuse pour ne pas que l'on me reproche ma faiblesse. Un accident, une maladie, quelque chose qui m'aurait clouer au lit pendant plusieurs semaines voire plusieurs mois. J'en suis arrivée à me dire que me retrouver à l’hôpital serait la meilleure solution.
Heureusement, je n'ai jamais été jusque là. Pourtant, pendant plus d'un an, je me suis détruite physiquement et mentalement. C'était lent, c'était sournois, c'était violent.
J'ai finalement décidé de quitter mon boulot. Pendant mes quelques mois de chômage, j'ai lu, j'ai essayé de comprendre, j'ai fait une thérapie pour essayer de mon reconstruire. Cela n'a pas duré longtemps. Il a très vite fallu que je me remette en selle. Pour moi, j'étais guérie, cette histoire était derrière moi. J'avançais.
Oui, j'avançais mais avec des œillères. Sans voir, sans prendre conscience que je n'étais pas vraiment rétablie, que j'essayais à nouveau de jouer les guerrière alors que mon corps était toujours fatigué et que je n'étais plus capable d'abattre autant de travail. A force de vouloir aller trop fort, trop loin, j'ai brûlé une partie de mes capacités. Mais ça, je ne voulais pas le reconnaître.
Il m'a fallu d'autres expériences, d'autres chocs, d'autres portes dans la figure pour, petit à petit, voir et accepter.
Aujourd'hui encore, je me rends compte que c'est difficile pour moi de parler de cette période. Je me sens coupable. Coupable de ne pas avoir réussi à dire « non ». Coupable d'avoir laisser faire. Coupable de ne pas avoir réagit plus tôt.
Il m'arrive encore de me lancer dans des projets qui me passionnent et pour lesquels j'ai envie de tout donner. Puis mon corps me rappelle à l'ordre. Travailler 8h par jour, je n'en suis plus capable. J'ai besoin de repos physique et mental, j'ai besoin de prendre du temps pour moi, pour ne rien faire. J'essaye de mettre mes limites, de communiquer, d'expliquer, de me respecter.
Ce n'est pas facile d'arriver à reconnaître et accepter ses limites. Surtout dans une société où on nous pousse à aller toujours plus loin, où les valeurs sont le dépassement de soi, la performance (voir l'excellence) et le travail.
C'est difficile de ne pas me juger moi-même et de me dire que tout est OK, que je fais de mon mieux.
C'est difficile de ne pas me comparer aux autres, de ne pas me sentir inférieure, nulle et incompétente parce que j'ai besoin de plus de temps.
C'est difficile de ne pas vouloir être plus, de me sentir parfois diminuée, trop vite fatiguée, de ne plus avoir les mêmes capacités d'attention, de concentration, de mémorisation.
Il m'a fallu 10 ans pour prendre conscience des traces qu'a laissé mon burn-out. Pour prendre conscience que je n'étais pas encore complètement guérie (est-ce que je le serais un jour?). Pour comprendre qu'il m'était facile de retomber dans le même schémas et que la limite pouvait facilement être franchie si je n'étais pas attentive.
Il m'a fallu 10 ans pour accepter mes failles. Je ne suis pas invincible. Au contraire, cette fragilité et cette vulnérabilisé, aussi difficiles soient-elles à accepter, me permettent d'être plus à l'écouter de moi et des autres, de rester présente et ouverte au monde extérieur, d'être une personne compétente, ouverte d'esprit, humble, passionnée et efficace dans les projets dans lesquels je m'investis.
Aujourd'hui, j'ai juste envie de me pardonner pour le mal que je me suis infligée pendant toutes ces années. J'ai envie de laisser cela au passé et d'en tirer des leçons. J'ai envie d'avancer en conscience, sans me voiler la face, en étant attentive à ce qui là. J'ai envie d'accepter d'être qui je suis avec tous mes défauts, mes faiblesses et aussi toutes mes qualités et mes forces. J'ai envie d'arriver à prendre suffisamment confiance en moi pour ne plus avoir à prouver quoique ce soit et à ne plus avoir besoin de me comparer aux autres pour reconnaître ma valeur. J'ai envie d'arriver à dire « stop » sans avoir peur d'être jugée ou rejetée. J'ai envie d'arriver à trouver ma place. J'ai envie de trouver l'équilibre entre résistance et lâcher prise.
J'ai envie d'arrêter de me consumer de l'intérieur et de laisser le feu s'exprimer sans avoir peur de brûler.
J'ai envie de m'engager dans cette voie et que cela ne soit pas que des envies et des beaux mots. Mais que cela s'imprègne dans mon corps et dans tous les autres plans de mon être et ainsi retrouver ma vitalité, ma puissance, mon rayonnement, ma spontanéité, ma joie de vivre.
Aline Lourtie
08/04/2024
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